– Entretien avec Philippe Richard –

Réalisé dans le cadre du travail intitulé “Piloter dans l’incertitude et l’Espérance”, nous avons rencontré Philippe Richard – Secrétaire Général de l’Office International de l’Enseignement Catholique,  pour échanger avec lui sur ce que voulait dire piloter dans l’Espérance.

Pour décourvir ce travail dans sa totalité, nous vous invitons à consulter notre web doc.

Le laboratoire – Comment pourriez-vous définir « l’espérance » ? Et comment pourrait-on définir ce que veut dire « avoir de l’espoir » ou « être dans l’espérance » pour un chef d’établissement ou un enseignant qui veut donner un cap à ses élèves ?

Philippe Richard – L’espérance est constitutive de l’essence même des établissements de l’enseignement catholique. C’est le moteur qui les fait avancer. Pour reprendre une comparaison faite par Monseigneur Deniau+ ancien évêque de Nevers, les écoles sont comme des « corps d’espérance ». Il expliquait que cette idée de « corps d’espérance » pouvait réellement être appliquée à l’école catholique puisqu’elle est un lieu où la vie l’emporte. Cependant, s’il est vrai que l’école catholique n’est pas tournée vers la mort, comme peut l’être un hôpital parfois, ou tourner vers l’isolement et la solitude, comme peuvent l’être les hôpitaux psychiatriques ou les prisons, il n’en demeure pas moins qu’elle peut connaître des situations de ce type.

Et, c’est exactement ce que l’on vient de vivre avec la crise sanitaire du coronavirus. L’école s’est arrêtée du jour au lendemain. Nous nous sommes retrouvés dans des situations de liens distendus entre les élèves et leurs professeurs, avec un risque important de lésions dans la mise en œuvre du projet éducatif.

C’est vraiment là que la théorie du « corps d’espérance » ressurgit, réapparaît. L’espérance est un moteur de vie qui permet de transformer en force, ce qui aurait pu nous amener à la destruction ou à la négation de ce qui a été fait. A l’image de la Résurrection, l’Espérance transforme des forces de mort, de destruction en forces de vie. Une autre illustration est celle du récit des disciples d’Emmaüs. Sur leur route, une rencontre leur redonne espoir cependant il s’agit de bien plus qu’un simple espoir, cette rencontre ranime en eux l’espérance de la vie, au sens de la vie éternelle.

Cette crise sanitaire nous confronte à la question de la rupture. Découvrir et faire l’expérience de la rupture. Puis, décider qu’au-delà de cette rupture, qui peut être vécue comme destructrice (perte des élèves, du champ pédagogique, de la qualité en éducation, des outils), nous allons reconstruire, recréer le « corps d’espérance » et lui donner des outils pour rebondir.

Cela, j’ai pu l’observer à travers tous les webinaires que l’OIEC a organisé à travers le monde. D’un côté, nous avons pu observer tous les aspects négatifs que le coronavirus a engendrés et en premier lieu, la fuite des élèves, la déscolarisation, moins forte en France qu’en Afrique ou d’autres pays. Et d’un autre côté, nous avons observé la capacité de se dire qu’il faut reconstruire et reconstruire avec des outils nouveaux. Il y a une chance à saisir de vivre cette période inédite comme permettant de dresser un bilan de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Une chance à saisir de pouvoir reprendre ce qui a été vécu ces trois derniers mois, tel un laboratoire extraordinaire. L’espérance est donc là.

A titre d’exemple, si nous avions voulu arrêter le cours du monde pour simplement revoir les étoiles à travers un ciel sans pollution, cela nous aurait semblé impossible. Et, pourtant, le monde s’est arrêté sans que nous l’ayons désiré. Cela est arrivé et peut nous amener à réfléchir à ce que nous avons fait à notre planète, qui a eu pour conséquence de ne plus voir les étoiles tant le ciel est pollué. Et donc, pour l’éducation, il en est de même. Cela peut nous amener à nous questionner sur ce que nous avons fait jusqu’à maintenant et sur ce que nous pouvons envisager pour demain.

Demain, c’est l’espérance. C’est cela justement qui est magnifique : pouvoir se dire que la force de vie va l’emporter sur la force de mort.

“il va nous falloir relire et prendre conscience de ce qui manque dans nos projets éducatifs par rapport à ce qui s’est passé. Il nous faut relire les mots.

 C’est un moment très important et si les établissements ne rebondissent pas là-dessus dans leur projet d’établissement, nous allons répéter mécaniquement les mêmes erreurs que nous avons commises de par le passé. Donc l’espérance est là.”

De la même manière que, pendant cette période, nous avons pu revoir les étoiles, cette période a-t-elle permis d’entrevoir d’autres aspects de la relation éducative ou pédagogique dans nos établissements ?

Cette période nous a fait redécouvrir la relation individuelle à l’élève. J’ai entendu des témoignages d’enseignants qui ont 20 à 25 ans de carrière et qui disent que depuis leur prise de fonction, ils s’adressaient à un groupe-classe. Cette crise les porte à mettre en place une attention particulière à chacun. Bien que cette attention particulière soit mentionnée dans le projet pédagogique, ces enseignants n’imaginaient pas ce que cela serait que de devoir décliner leur enseignement en 20 à 30 processus pédagogiques et d’avoir une action qui se retrouve ainsi complètement éclatée. Il y a donc des enseignants qui ont redécouvert la relation individuelle à l’élève et c’est extraordinaire, car c’est le fondement même de l’éducation.

De plus, alors qu’habituellement, c’est le parent qui amène l’élève au professeur ; il y a eu avec cette crise une inversion, où c’est le professeur qui s’est rendu auprès de l’élève. Et il va y avoir beaucoup de bénéfices autour de cela. Nous avons la chance d’expérimenter, grandeur nature, pendant cette période, un certain nombre d’idées très généreuses que nous portons dans nos projets éducatifs, qui restaient des phrases. Là, il va nous falloir relire et prendre conscience de ce qui manque dans nos projets éducatifs par rapport à ce qui s’est passé. Il nous faut relire les mots. Leur force est devenue très prégnante et nous ne pouvons plus tricher avec les mots. C’est un moment très important et si les établissements ne rebondissent pas là-dessus dans leur projet d’établissement, nous allons répéter mécaniquement les mêmes erreurs que nous avons commises de par le passé. Donc l’espérance est là.

Il y a effectivement beaucoup d’exemples d’enseignants qui ont su renouer avec la relation particulière ou individuelle et qui ont su également renouer des relations avec les familles, mais il y a eu aussi des personnes qui se sont senties désespérées, pour qui la situation a été marquante négativement et qui n’ont pas su rebondir. Dans ces cas-là, comment un chef d’établissement peut faire pour mener son équipe dans l’espérance pour avancer tout de même ?

C’est une question très forte, qui d’une part met en valeur le rôle du chef d’établissement qui n’est pas seulement là pour assurer un rôle administratif, d’organisation matérielle ou financière de l’établissement. D’autre part, cette question pointe le fait qu’il y a tout un travail de résilience à mettre en place, et avec ici, le recours à toutes nos valeurs. Désormais, les valeurs deviennent réellement objectives, ce sont des objets. Il nous faut les expérimenter, par exemple, la valeur de fraternité dans une équipe : comment pourrions-nous nous aider ? comment pouvons-nous aimer l’autre même dans sa désespérance ?

Pour les chefs d’établissement, cela va être à la fois difficile et très fort. Comme dans un couple face aux difficultés, il peut être envisager de tout arrêter, ce qui est la solution la plus facile mais la moins intéressante, ou il peut être envisager de s’aider l’un l’autre pour avancer, pour relancer un projet. Les chefs d’établissement vont se trouver dans un rôle où il leur faut aider les membres de l’équipe. Il doit leur permettre de verbaliser ce qui s’est passé, de faire un peu d’analyse de pratiques, de façon horizontale, d’égal à égal, car lui-même a peut-être vécu difficilement cette période.

Il y a un travail horizontal de résilience à faire, à la fois collective mais aussi individuelle qui est une chance pour les équipes.

“L’espoir repose sur une vision que nous n’avons pas, c’est un point d’interrogation. Nous espérons, nous attendons. L’espoir est une attitude en réaction à l’inquiétude ; c’est une arme qu’on utilise pour ne pas sombrer.

Mais l’espérance est plus qu’une attitude, c’est la foi en une fin que nous imaginons réellement. L’espérance peut s’écrire, elle peut être verbalisée, construite.”

Est-ce que l’Espérance repose sur le collectif ?

 

Oui, forcément, dans l’enseignement catholique et depuis les Assises, nous avons développé une culture très forte de l’équipe éducative. Nous utilisons d’ailleurs l’expression « communauté éducative » plutôt qu’« équipe éducative » parce que nous considérons qu’il ne s’agit pas seulement d’une équipe de travail. Nous sommes une communauté de vie… professionnelle.

 

Cette période va permettre de pouvoir mesurer la force de la communauté et ici, le premier travail du chef d’établissement, sera donc de remettre les équipes en situation d’écoute et de fraternité.

 

Dans un acte de relecture ?

L’acte de relecture viendra par la suite. La première chose est de recréer immédiatement la fraternité, puis, dans un second temps, il s’agit de fabriquer les moyens de la résilience au sein de l’équipe.

Vous avez fait la distinction entre espoir et espérance, quelle est-elle ? 

L’espoir repose sur une vision que nous n’avons pas, c’est un point d’interrogation. Nous espérons, nous attendons. L’espoir est une attitude en réaction à l’inquiétude ; c’est une arme qu’on utilise pour ne pas sombrer.

Mais l’espérance est plus qu’une attitude, c’est la foi en une fin que nous imaginons réellement. L’espérance peut s’écrire, elle peut être verbalisée, construite. L’espérance puise dans nos racines chrétiennes et nous permet d’entrevoir qu’il y a quelqu’un qui nous tient la main et qui nous dit « tu ne risques rien, je suis avec toi ». C’est un acte de foi, mais qui n’est pas posé à l’état de nature.

En effet, cet acte de foi passe par des personnes et le chef d’établissement est celui qui va tenir la main de son équipe. C’est une vision charismatique du rôle du chef d’établissement qui, ayant reçu sa mission, a aussi reçu les grâces qui lui permettent de l’accomplir. Le chef d’établissement doit lui-même redécouvrir l’importance charismatique de sa mission.

 

Est-ce que cela signifie que le chef d’établissement est celui qui incarne l’espérance pour son établissement, pour son équipe ? 

Oui, c’est celui qui incarne le calme, la force de vie, qui va rassurer son équipe et qui va lui donner, de manière charismatique, les moyens d’affronter les tempêtes. C’est typiquement la mission du chef d’établissement dans l’enseignement catholique : tenir la main de son équipe, ne pas faire à la place de, être là pour donner l’espérance. 

Nous pouvons d’ailleurs voir cela à tous les niveaux, le directeur diocésain est celui qui rassure les chefs d’établissement, le secrétaire général de l’enseignement catholique est celui qui rassure les directeurs diocésains. Il y a toute une chaine charismatique de l’Espérance, une chaine qui s’inscrit dans l’acte de foi et non pas un acte de pouvoir ou de carrière.

La crise du coronavirus doit nous permettre de vivre aussi cela comme une expérience spirituelle. Le chef d’établissement reçoit une mission organisationnelle mais cette mission est secondaire par rapport à la mission spirituelle. L’école catholique n’a de sens que si elle est c’est un « corps d’espérance », pas juste une entreprise et pour cela, il faut que l’établissement soit un lieu où un jeune va par l’intermédiaire de son chef d’établissement, des éducateurs, des enseignants, des parents, découvrir un jour ce qu’est l’espérance.